Plusieurs d'entre vous m'ont demandé s'il y aurait un compte-rendu de la rencontre inter-régionale des groupes de l'Amitié Judéo-chrétienne de l'Ouest aux Sables d'Olonne le 12 février dernier. Bien évidemment ! Et je laisse avec plaisir la parole à Françoise Kessler, présidente de l'AJC Vendée à La Roche sur Yon, qui nous accueillait pour cette excellente journée.
"Dimanche 13 février, aux Sables d'Olonne, l'Amitié Judéo-chrétienne de Vendée accueillait ses amis des groupes AJC de l'Ouest : Coutances, Le Mans, Angers, Saint Brieuc et Nantes. C'est dans la synagogue des Sables, grâce à la merveilleuse hospitalité de leurs amis juifs, qu'une cinquantaine de personnes ont trouvé place pour passer une matinée riche de dialogue et d'échanges entre juifs et chrétiens.
La communauté juive a pu exprimer sa grande reconnaissance au Père Olivier GAIGNET, actuel délégué épiscopal pour le dialogue interreligieux et membre d'AJC Vendée. Il avait permis, quand il était curé aux Sables, à la communauté juive naissante de se réunir pour le shabbat dans une salle du presbytère !
Les chrétiens ont pu découvrir ou préciser les différents éléments qui constituent la synagogue, lieu de rassemblement et de prière, tout particulièrement les rouleaux de la Tora ("sifrei Tora"), retirés pour l'occasion de l 'armoire sainte ("aron qodesh") orientée vers Jérusalem et éclairée par la lampe perpétuelle ("ner tamid")... Après une collation offerte généreusement, chaque groupe exprimait ses préoccupations et ses réalisations, foisonnement d'idées et de projets.
La journée s'est poursuivie dans le cadre de l'école St Michel, au voisinage de la synagogue. Le buffet "casher", auquel chacun avait participé, permettait le partage fraternel de la table entre juifs et chrétiens.
Puis un public élargi accueillait le Père Michel REMAUD pour une conférence sur "La Parole de Dieu et ses traductions".
La lecture d'une traduction de la Bible permet-elle d'entrer dans l'esprit de la méthode juive du "midrash" : recherche du sens profond du texte, en tenant compte non seulement de son message, mais de toutes les particularités de sa forme ? : vocabulaire, constructions de phrases, détails d'orthographe, anomalies ?.. Par exemple, quand on lit dans Matthieu 5,18 : "pas un yod ne passera", cette expression a une portée théologique. En effet, c'est le yod, la plus petite lettre de l'alphabet hébraïque, qui différencie l'accompli de l'inaccompli. Selon le cas, la traduction par un futur au lieu d'un passé rend au texte une perspective de résurrection des morts !
Il ne s'agit pas de savoir ce que les auteurs ont voulu dire, mais ce que dit le texte. On considère que, au-delà des auteurs des différents livres, c'est Dieu qui est l'auteur de l'ensemble de l'Ecriture dans son unité. Le contexte d'un verset n'est pas seulement le verset précédent et le suivant, mais la totalité de l'Ecriture, ce qui autorise une libertté totale de circulation à l'intérieur du texte.
Quelques exemples.
On lit dans Gn 1,5 : "Ce fut le premier jour". Le texte hébreu dit : "Jour un", puis "deuxième jour, troisième..." Pourquoi cette anomalie ? L'expression "jour un", (yom éhad) en hébreu, est reprise dans le livre de Zacharie et annonce le jour eschatologique où la création sera achevée, "où il n'y aura plus ni luminaire, ni froidure, ni gel... ni été, ni hiver..." (Za 14,6-7)
Dans Gn 22,3 "Abraham se leva de bon matin et harnacha son âne". Pourquoi ces détails, apparemment sans grand intérêt ? Cette formule rappelle celle de Nb 22,21 : "Balaam se leva de bon matin et harnacha son ânesse." En fait, les deux passages s'opposent : Abraham s'empresse par amour, pour faire la volonté de Dieu, Balaam s'empresse par haine, pour maudire Israël. Les comportements sont identiques, mais Balaam échoue, alors qu'Abraham réussit.
Le midrash va jusqu'à dire que c'est l'acte d'obéissance du juste qui a mis par avance en échec la tentative de Balaam ! Le commentaire sera semblable pour les structures parallèles. Gn 46,29 : "Joseph a attelé son char pour aller à la rencontre de son père", et Ex 14,6 : "Pharaon a attelé son char pour poursuivre Israël". Détails étonnants : atteler était le travail des serviteurs de l'un et de l'autre !
Enfin le Père REMAUD évoque le "collier" de tous les "troisièmes jours" de la Bible : c'est le troisième jour qu'Abraham voit le Mont Moriyya (Gn 22,4) , le troisième jour que Joseph libère ses frères (Gn 42,18) : "Faites ceci et vivez !", le troisième jour que la Tora est donnée (Ex 19,16); c'est au bout de trois jours que les espions envoyés par Josué et cachés par la prostituée Rahab sont débarrassés de leurs poursuivants (Jos 2,16), le poisson recrache Jonas au bout de trois jours (Jon 2,1), Esther, après trois jours de jeûne, se pare de ses vêtements royaux pour rencontrer le roi (Est 5,1).
Tous ces événements conduisent, le troisième jour, au don de la vie, à la résurrection : "Au troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en Sa Présence". (Os 6,2) Ce verset dit explicitement ce qui est implicite dans toute l'Ecriture. Le fait de rapprocher des expressions parallèles fait jaillir une signification plus profonde qui traverse toute la Bible, y compris le Nouveau Testament. Le passage de la première épître aux Corinthiens "Il est ressuscité des morts le troisième jour conformément aux Ecritures" ne se rapporte pas seulement au verset d'Osée, mais à la totalité de la Révélation, dont ce passage est la clé d'interprétation.
La lecture juive rejoint ici ce que dit la tradition chrétienne sur l'unité de l'Ecriture. L'interprétation dépasse le sens littéral de chaque passage en le mettant en corrélation avec l'ensemble de la Révélation et chaque verset s'enrichit de ce rapprochement.
Cette attention à l'unité de vocabulaire est importante aussi pour le passage de l'Ancien au Nouveau Testament, bien qu'ils soient écrits respectivement en hébreu et en grec ; en fait les auteurs des textes grecs avaient en mémoire les textes hébreux.
Par exemple on lit dans Gn 50,24, quand Joseph, au moment de mourir, parle à ses frères : "Dieu vous visitera" (expression verbale répétée en hébreu, signe d'insistance). On trouve en écho Ex 3,16, quand Moïse annonce : "Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob m'a dit : Je vous ai visités". Rappel interprété par la Mishna comme l'accomplissement de la promesse de Joseph. La répétition du verbe "visiter", formule codée en quelque sorte, est signe de libération, de rédemption. C'est ce que confirme, d'après la Mishna, Sérah, fille d'Asher, petite-fille de Jacob, après l'épisode du buisson ardent. Elle authentifie ainsi Moïse comme le Sauveur d'Israël.
Or, dans le récit de la Présentation de Jésus au Temple, nous lisons : "Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Asher" (Lc 2,36). Et le cantique de Zacharie répète le verbe "visiter" : "... qui visite et rachète son peuple" (Lc 1,68) "l'astre qui vient nous visiter" (Lc 1,78). De plus, les allusions pascales à la sortie d'Egypte sont évidentes dans ces versets.
Ces rapprochements si éclairants ne peuvent être établis que si la traduction est fidèle et cohérente. Nous avons constaté combien la forme du texte est déterminante. Le conférencier passe en revue les diverses traductions du verset Ex 3,16 :
- Bible de Jérusalem : "Je vous ai visités"
- TOB : "J'ai décidé d'intervenir en votre faveur"
- Traduction liturgique : "J'ai décidé de m'occuper de vous".
- français courant : "Il s'est penché sur votre situation".
Sans commentaire !
Bien sûr, aucune traduction n'est parfaite. Le Père REMAUD cite le prologue du livre de Ben Sira, où le traducteur de l'hébreu en grec, petit-fils de l'auteur, s'exprime ainsi : "C'est qu'en effet il n'y a pas d'équivalence entre des choses exprimées originairement en hébreu et leur traduction dans une autre langue ; bien plus, si l'on considère la Loi elle-même, les prophètes et les autres livres, leur traduction diffère considérablement de ce qu'exprime le texte original".
Mais s'il faut choisir, le Père REMAUD souligne l'inconvénient des traductions collectives, qui tiennent difficilement compte de l'unité de la BIble, et l'intérêt des traductions plus littérales que littéraires. C'est finalement la Bible d'Osty qui répond le mieux à ses attentes. Cependant, dans certains cas, les clés d'interprétation dépendent de la langue originale. Et le Père REMAUD encourage vivement son auditoire à apprendre l'hébreu !
S'ensuit un débat animé sur la valeur et les limites des diverses traductions, la meilleure traduction, qui reste sans doute encore à faire, et le rôle éminent de l'hébreu, "le langage de l'âme..."
Françoise Kessler